
Il y a quelques jours, le faiseur de paix auto-proclamé de Washington, sa très instable Majesté Donald 1er, a proposé un plan de paix en 28 points pour mettre fin au conflit en Ukraine. On voit que le Black Friday approche et que c'est les soldes: tout est bradé, tout doit partir! Petit florilège:
2. Un accord global de non-agression sera conclu entre la Russie, l'Ukraine et l'Europe. Toutes les ambiguïtés laissées en suspens ces 30 dernières années seront considérées comme réglées. Ben voyons, c'est comme aller à confesse, on efface l'ardoise et on met toutes les choses dérangeantes sous le tapis. Bon plan pour la Russie qui verrait ainsi la fin des ambigüités territoriales au Donbass, et dans les zones de Donetzk et Louhansk, arrachées à l'envahisseur au prix du sang.
3. Il est attendu que la Russie n'envahisse pas les pays voisins et que l'Otan ne s'étende pas davantage. Désopilant. De Pierre le Grand de Russie à Catherine II en passant par le peintre autrichien moustachu, bien des autocrates ont signé des pactes de non-agression. Avec les résultats que l'on sait.
6. Les forces armées ukrainiennes seront limitées à 600 000 militaires. Ah, voilà. C'est à l'agressé qu'on demande de démilitariser, pas à l'agresseur. Fantastique!
7. L'Ukraine accepte d'inscrire dans sa constitution qu'elle ne rejoindra pas l'Otan, et l'Otan accepte d'inclure dans ses statuts une disposition spécifiant que l'Ukraine ne sera pas intégrée à l'avenir. C'est tellement énorme que c'en est une insulte à l'intelligence. Cette clause retire techniquement à l'Ukraine le droit d'avoir des alliés qui pourraient la défendre en cas d'agression. Et cela doit être gravé dans la Constitution. On a un baril de vaseline en prime avec çà, j'espère?
13. La Russie sera réintégrée dans l'économie mondiale, avec des discussions prévues sur la levée des sanctions, la réintégration du G8 et la conclusion d'un accord de coopération économique à long terme avec les États-Unis. Nous y voilà: on récompense l'agresseur impérialiste en lui offrant une nouvelle virginité. Répugnant.
26. Toutes les parties impliquées dans ce conflit bénéficieront d'une amnistie totale pour leurs actions pendant la guerre et s'engageront à ne faire aucune réclamation ni n'envisager aucune plainte à l'avenir. Sans nul doute ma préférée pour ce qui est de l'ignominie! Pas possible autrement, c'est Poutine lui-même qui a pondu cette ligne. Amnistie pour les crimes de guerre, les tortures de prisonniers et même de civils, les viols comme arme de guerre. On croit rêver, ou plutôt cauchemarder.
Je pourrais continuer longtemps car tout est du même acabit, mais j'ai envie de vomir.
Cette proposition n'est pas un accord de paix, c'est un acte de capitulation en bonne et due forme. Avec un "allié" comme Trump, nul besoin d'ennemis - s'il vous arrive malheur, il y a de bonnes chances qu'il ne vous défendra pas. Cela fait un moment que Trump cire les pompes de Poutine, mais à ce stade ce n'est plus du cire-godasses, c'est du lustrage de poireau.
Nous voici revenus à l'esprit de Yalta après la Seconde Guerre Mondiale: les grandes puissances s'arrangent entre elles sur le dos de l'Europe, qui n'a qu'un petit strapontin pour assister au dépeçage géopolitique. Et hélàs, même si Macron, Starmer, Merz et von der Leyen ont immédiatement réagi en vue d'essayer de peser dans la balance pour apporter des amendements à cet accord indigne...le poids diplomatique de notre Vieux Continent pèse bien peu face aux petits arrangements entre amis entre l'autocrate du Kremlin et le bouillonnant Agent Orange de la Maison Blanche. Car voyez-vous, ils partagent la même vision du monde: l'usage de la force décomplexé.

A l'heure où des drones absolument pas russes, Poutine le jure, testent les frontières aériennes des pays baltes, de la Pologne, ou de la Belgique, il est grand temps pour nous Européens de changer de mentalité. La Paix dont nous nous étions accommodés depuis des générations n'est pas gravée dans le marbre. Il est temps de repenser une Europe forte avec une voix diplomatique conjointe, et une capacité militaire de dissuasion et de riposte crédible. Le tout sous parapluie nucléaire franco-britannique au cas où les USA nous laissent tomber comme de vieilles chaussettes. Plus facile à dire qu'à faire, et je n'en connais pas les moyens, mais je n'ai aucun doute sur le fait que la Coalition des Volontaires menée par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne soit un premier pas - si embryonnaire soit-il - dans la bonne direction.
Mais j'ai lu des choses plus dérangeantes encore en réaction à cette proposition "d'accord de paix en levrette forçée". Et pas sur les rézozos sociaux que je ne fréquente plus depuis belle lurette, mais bien dans les commentaires de la presse en ligne, ou lors de discussions dans la vie réelle. Je passe sur la naïveté navrante de ceux qui disent qu'un mauvais accord de paix vaut mieux qu'une guerre. Churchill aurait bien des choses à leur répondre sur la guerre, la paix et le déshonneur. Je passe également sur l'aveuglement coupable de ceux qui prétendent que ce qui se passe en Ukraine ne nous regarde pas...alors que nous avons un conflit actif aux frontières de l'Europe, à peine à 2000 kilomètres de Paris. Et que l'Histoire nous a prouvé que lorsqu'une puissance impérialiste a recours à la force pour faire bouger les frontières, elle y prend vite goût.
Car il y a bien pire discours. Celui de ceux qui ne se gênent pas pour blâmer la victime et ses défenseurs face à l'agresseur. La guerre serait de la responsabilité de Zelensky, et elle continuerait par sa faute et celle d'un Macron, ou d'un Keith Starmer, ou d'un Friedrich Merz, qui seraient d'horribles va-t-en-guerre. Les jean-foutre qui tiennent ce genre de discours me feraient pitié si je n'étais pas capable d'autre chose que d'un mépris glacial.
Car ils sont sous emprise - dans le sens psychologique du terme - comme les victimes de pervers narcissiques qui adulent leur bourreau et lui pardonnent au lieu de le blâmer. Ils font aussi penser aux gens qui condamnent la femme violée au dépens de son violeur, car elle n'aurait pas dû s'habiller sexy, et a "probablement provoqué les choses."
D'ailleurs, la boucle est bouclée: Trump vient de pointer un doigt accusateur vers l'Ukraine, qui a rejeté son pacte capitulard. L'Ukraine n'aurait, à l'entendre, "aucune gratitude". La victime transformée en coupable, la vérité devenue mensonge.
Tout au long de l'Histoire humaine, on a toujours pu trouver des hommes pour les missions et les postures déshonorantes. Méfiez-vous: dans beaucoup de cas, la trahison n'est pas loin.
A la revoyure,
Juliette Evola