Je n'ai pas regardé le discours du Président proclamant la reconnaissance d'un Etat palestinien à la tribune du Machin hier soir. Oui, le Machin, c'est ainsi que de Gaulle appelait l'ONU. Je ne tenais pas à m'infliger ce spectacle désolant, et j'ai déjà dit tout le mal que j'en pensais ici. Mais j'ai lu ce discours ce matin.
En fait, je n'ai réellement retenu qu'une phrase: "Une vie vaut une vie".
Voilà qui ferait un beau sujet de dissertation. Je crains fort que, du point de vue philosphique, je ne puisse partager ce bel élan universaliste et humaniste digne de Kant. Je lui ai toujours préféré Aristote et Nietzche, et non, toutes les vies ne se valent pas à mes yeux. Mais je ne veux pas m'égarer dans un de mes habituels hors sujets.
Partons donc du principe qu'une vie vaut une vie. C'est une bonne nouvelle pour toutes les victimes de ces conflits oubliés dont presque personne ne parle, n'est-ce pas?
Si une vie vaut une vie, nous devrions voir fleurir des pamphlets contre la guerre civile éternelle en République "Démocratique" du Congo, le nettoyage ethnique du peuple Karen au Myanmar (Birmanie), la famine entraînée par la guerre au Soudan, la stérilisation forcée des Oïgours en Chine, les massacres de chrétiens au Nigéria au mains des milices islamistes et bien d'autres conflits encore. Nous devrions voir apparaître moultes protestations, manifestations, élans de colère populaire et discours ampoulés à la tribune du Machin, dans un grand élan "humaniste" semblable à celui réservé au sort des populations gazaouies prises en étau entre le Hamas et l'armée israélienne.
Mais je sais fort bien que cela ne sera pas le cas. Il n'y aura ni manifestations, ni protestations, ni beaux discours enrobés de moraline. Car le constat est cruel: les indignations de l'Occident sont sélectives. Il y a une gradation dans la douleur. Peu importe que des villages entiers soient rayés de la carte et que les locaux crèvent de faim en République "Démocratique" du Congo, au Yémen ou au Myanmar, que le viol et les mutilations y soient perpétrés comme arme de guerre, ou que les gouvernements chinois et éthiopiens conduisent une épuration ethnique et culturelle assumée de leurs minorités: ni la presse ni la rue ne monteront au créneau. Par contre, dès qu'il s'agit d'Israël et de la Palestine, tout le monde pète un câble. C'est la Rolls Royce de l'indignation!
Donc non, ce qu'il fallait démontrer: en pratique, une vie ne vaut pas une vie aux yeux du public et de ceux de nos dirigeants. Des populations entières sont frappées de plein fouet pas la guerre, loin des projecteurs, et tout le monde s'en fout.
Cette gradation sélective dans la souffrance m'est insupportable. Surtout quand elle s'accompagne de la ritournelle de certains membres d'un "Camp du Bien" auto-proclamé, avec ses indignations à géométrie variable, ses silences calculés, ses récupérations politiques odieuses, et les petits kits de "prêt-à-penser" que ces belles âmes essaient de nous faire avaler.
A la revoyure,
Juliette Evola.