La nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre m’a prise par surprise. C’était, pour être honnête, la dernière personne que j’imaginais voir à Matignon. Mais Emmanuel Macron aime surprendre, et ses choix tiennent souvent de la dinguerie imprévisible sortie du chapeau. Alors, est-il devenu fou, comme le fou du Tarot, celui de l'arcane sans nombre, qui avance vers le vide malgré l’avertissement du chien fidèle ? Peut-être. Après tout, certains psychologues décrivent cet entêtement qui pousse des individus acculés à répéter les mêmes erreurs, encore et encore.
Et Einstein ne nous disait-il pas que la folie consiste précisément à refaire la même chose en espérant des résultats différents ? Choisir à nouveau un Premier ministre venu de la droite pourrait donc être perçu comme une combinaison de folie et de naïveté. Peut-être. Ou peut-être pas.
Car je n’ai aucune envie, pour l’instant, de commenter le bien-fondé de la présence de Lecornu à Matignon. Ni par paresse, ni par incapacité à lire le jeu politique, mais parce que certaines situations exigent d’abord d’attendre. Attendre que la poussière retombe, que les rapports de force se clarifient, que des éléments tangibles permettent d’élaborer des hypothèses solides.
C’est la leçon que j’ai tirée de mon expérience professionnelle : face à une crise, quand l’équipe s’agite, s’énerve et multiplie les conjectures, parfois le geste le plus efficace est le silence. Attendre. Observer. Laisser le système évoluer jusqu’à ce qu’il révèle ses lignes de force.
Et ce système politique, justement, n’est pas linéaire. Il ne suit pas la logique simple du type A entraîne B qui entraîne C. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, nous sommes dans un modèle chaotique — au sens scientifique du terme. Le chaos, ici, ne veut pas dire désordre et destruction, mais coexistence de forces multiples qui interagissent de manière imprévisible, jusqu’à créer un nouvel équilibre. En physique, on appelle cela un « attracteur étrange » : un événement déclencheur qui déstabilise l’ensemble et l’oblige à se recomposer autrement.
La météo fonctionne ainsi. La formation des galaxies aussi. Pourquoi pas la politique française ?
Machiavel, dans Le Prince, expliquait déjà comment gérer le chaos, et en tirer un nouvel équilibre au bénéfice du pouvoir. Son ouvrage était d’ailleurs le sujet du mémoire de maîtrise d’Emmanuel Macron. Autant dire que l’idée de naviguer dans le désordre apparent ne lui est pas étrangère.
Dès lors, je ne crois pas que Macron soit fou en nommant Lecornu. Je crois qu’il joue une autre logique : non pas celle du chemin direct, mais celle de la manœuvre oblique. Comme aux échecs, avec la diagonale du fou : une pièce discrète qui n’attaque jamais de front, mais qui progresse de biais, reste sur sa couleur et frappe là où on l’attend le moins. En suivant quelle stratégie, à quelles fins, et avec quelles chances de succès? Je n'en sais rien.
Voilà pourquoi je ne commenterai pas davantage cette nomination pour l’instant. J’attendrai de voir comment Lecornu s’y prend pour former son gouvernement, quelles alliances se dessinent, quels arbitrages budgétaires seront possibles. Patience et économie de mots définiront mon attitude. Car pour comprendre la partie, il faut d’abord laisser les pièces se mettre en mouvement sur l’échiquier.
A la revoyure,
Juliette Evola