Ce vieux Karl Marx n'avait pas tort sur tout: il nous disait que l'Histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme une tragédie et la seconde fois comme une farce. C'est franchement comique que j'aie choisi une illustration du film "Retour vers le futur" pour illustrer mon précédent billet, car ce matin j'ai l'impression d'avoir fait un petit trajet dans la fameuse voiture DMC-12 DeLorean, la machine à remonter le temps de ce film culte. Avec réglage sur le 9 juin 2024, le jour du pari de poker foiré de la dissolution de l'Assemblée Nationale. Quel rapport me direz-vous? Je m'explique:
Lors de la conférence de presse d'hier, François Bayrou, ayant décrété avec raison que "la France traverse un moment d'hésitation et de trouble", va demander un vote de confiance à l'Assemblée Nationale le 8 septembre histoire de valider le principe d'un effort de 44 milliards de réduction du déficit. Afin de clarifier la situation. Mouais.
Cela me rappelle furieusement la dissolution de l'Assemblée Nationale l'an dernier, censée elle aussi clarifier la situation suite à la sévère défaite du camp présidentiel aux élections européennes. Cette dramatisation des enjeux, ce coup de poker raté ont eu pour résultat un paysage politique encore plus fragmenté, pas de majorité, bref une instabilité chronique qui risque bien de mener à la chute du gouvernement actuel. Il est évident que les oppositions, LFI et RN en tête, vont voter contre la confiance. Et le PS, à côté de la plaque comme souvent, semble s'aligner sur la LFI. Au moment où j'écris ces lignes, Bruno Retailleau a déclaré que Les Républicains voteront la confiance au gouvernement, mais 100 députés cela ne suffira évidemment pas à sauver les miches de Bayrou.
Je ne pense pas que jouer à nouveau la dramatisation des enjeux soit la meilleure méthode pour rallier du soutien parlementaire, surtout si les mesures proposées par ce budget ne changent pas par rapport à ce qui avait été annoncé plus tôt, et qui avait déjà provoqué une levée de boucliers.
Comme Macron il y a un an, Bayrou joue à un jeu dangereux. C'est jouable si on propose des pistes acceptables et négociables à l'opinion, mais ce n'est pas le cas ici. Une déclaration d'Albert Einstein me revient à l'esprit: "La définition de la folie, c'est de faire toujours la même chose en s'attendant à des résultats différents". Je pense que Bayrou est en train de se faire hara-kiri dans la joie et la bonne humeur, et que le gouvernement va probablement tomber. La Bourse de Paris a reculé à -1,9% ce matin, une frilosité qui se fait l'écho de la crainte d'un choc à venir.
Et après? Trouver un autre Premier Ministre? Cà sera à nouveau la croix et la bannière. Une nouvelle dissolution inéluctable, avec pour résultat probable une Assemblée encore plus hostile et une marge de manoeuvre encore plus réduite pour l'Exécutif, chose qu'un Macron échaudé a publiquement déclaré vouloir éviter? Cà nous pend au nez.
Bref, je ne sais pas ce que l'avenir proche nous réserve, mais je m'installe dans mon siège avec la ceinture bouclée, les médicaments anti-nausée pris, et des sacs à vomi à portée de la main, car à mon avis cette rentrée va secouer.
Commentaires
Macron ira-t-il jusqu'à activer l'article 16 ?
Figure-toi que je me suis déjà posée la question plus d'une fois, et cela ne date pas d'hier. Ce bazooka institutionnel, utilisé par De Gaulle en 1961 dans un contexte de coup d'Etat possible existe bel et bien, et suscite pas mal de fantasmes, tant par les partisans d'un pouvoir autoritaire que par ceux qui craignent des dérives liberticides.
Ce n'est pas si facile que çà de balancer un Article 16, les conditions de fond sont, je cite: "d'une part, une menace grave et immédiate des institutions de la République, de l'indépendance de la Nation, de l'intégrité de son territoire ou de l'exécution de ses engagements internationaux et, d'autre part, l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels."
Evidemment, la notion de "menace grave et immédiate" reste vague, et sujette à l'interprétation du Président. Et avoir recours à l'Article 16 est un acte de gouvernement, quand c'est fait, c'est fait, même s'il y a obligation de consulter le Premier Ministre, les deux Chambres et le Conseil Constitutionnel. Cependant, si un Président déconne tout à fait et déclare l'Article 16 pour tout et n'importe quoi, l'Article 68 de la Constitution prévoit qu'une procédure en destitution peut être entamée.
Ben merde tu m'as obligé à faire une recherche sur l'article 16. Tu m'apprends toujours des choses
Tu as raison aussi sur ton commentaire, que j'ai lu après celui de Nicolas. Le gaulliste qui n'a pas le réflexe "article 16" alors que j'avais eu en terminale un 19/20 sur cette période est honteux.
Après Hara-Kiri oui sans doute. Le PS ne jouera pas le jeu et Bayrou se pensait plus malin que Barnier. L'objection de 50 milliards était trop ambitieux. Il faut des objectifs atteignables (tu le sais ;) ).
Bayrou me parait être partir dans le sous sol de l'échec du violet ;)
Je ne suis pas une spécialiste en droit constitutionnel, mais c'est un sujet qui me passionne. Et oui, la Constitution prévoit un Exécutif fort, les pleins pouvoirs d'urgence permettent de gouverner par décret, ce qui fait techniquement du Président un dictateur au sens romain du terme, comme César ou Sulla. Dictateur veut d'ailleurs dire "qui gouverne par décrets". Cela alimente pas mal de fantasmes, justifiés ou non. Il est parfois bon de revenir au texte en lui-même pour éviter les approximations. Je prépare d'ailleurs un billet sur les conditions de destitution d'un Président de la République, car là aussi il y a pas mal de délires qui sont dits. Destituer est possible, mais assez compliqué.
La destitution semble impossible dans les circonstances actuelles (je crois qu'il faut deux tiers de voix dans les deux chambres) mais si on dit le contraire, on est traité de con par Mélenchon (voir son passage à France Inter, hier).
Donc l'article 16 même abusif est possible dans la mesure où le seul arbitre me semble être le Conseil Constitutionnel qui me parait être acquis à Macron.
Son activation ne serait pas si grave que ça (au fond, sauf à de rares exceptions près, le président fait ce qu'il veut dans la mesure où l'AN lui est largement acquis) : en fait ça ne changerait pas grand chose. C'est le président qui décide toujours (sauf en période de cohabitation), ne serait-ce que parce que les investitures des députés dépendent souvent de lui...
Nous allons de plus en plus vers un système où il est impossible de former une majorité : les institutions et notre démocratie sont bien en danger.
Cela dit, ce n'est évidemment pas ce que je souhaite.
Les grands esprits se rencontrent, mon billet du jour parle de Mélenchon qui appelle à destituer Macron. Ceci dit, même le CC n'est pas un obstacle pour activer l'Article 16, tout comme le 1er ministre, l'AN et le Sénat, il n'a qu'une valeur consultative. Une fois consultés (ce qui doit être documenté), le Président peut très bien décider de ne pas en tenir compte.
En cas de verrouillage institutionnel complet, je ne suis pas non plus opposée à cette mesure, ce qui m'a évidemment fait traiter de fachotte par un abruti il n'y a pas bien longtemps. Je m'en fous.